Sara Montini qui venait de commencer son travail au sein d’une administration publique avait été, dès son arrivée frappée par le temps de la pause. Elle avait l’impression que c’était un moment que personne n’aurait voulu manquer : qui pour fumer une cigarette, qui pour prendre une tasse de café, qui pour prendre une tasse de thé…ou simplement pour papoter, car figurez-vous que dans les administrations, même les hommes papotent.
À son arrivée dans ce service, Sara savait qu’elle serait la plus jeune du service. Ce qui l’intimidait un peu, car ne sachant pas quel type de conversations aborder, elle avait choisi de s’enfermer, car ses collègues qui venaient d’un autre milieu étaient âgés et plus expérimentés. Certains y travaillaient depuis plus de vingt ans.
Sortie droit de l’université Toulouse le Mirail, Sara avait décroché son diplôme avec mention très bien et était sûre de ses compétences. Elle devait travailler avec un responsable qui était moins diplômée qu’elle, mais qui travaillait au département des affaires sociales de Canet depuis plus d’une vingtaine d’années déjà. Sachant que cela ne serait pas facile, Sarah était donc prudente.
A la fac, le professeur indiquait toujours les tenues qui faisaient bonne impression. C’est ce que fit Sara le premier jour de son travail : un cadre doit toujours être présentable pour faire bonne impression. C’était au mois de mars et le printemps approchait, mais il faisait encore froid dans cette région du sud de la France. Sarah choisit un tailleur et des bottes assorties. Croyant être la première à arriver, elle fut étonnée de constater que Christian de l’accueil était déjà là. On aurait dit qu’il y passait la nuit. Christian, très jeune, plutôt beau garçon, avec un accent toulousain qui amusa Sara, elle-même toulousaine. Il salua Sara et se présenta.
Vers 8h, tout le monde arriva et on présenta à Sarah son chef de service qui la conduisit à son bureau. Ce dernier était vide, avec juste un bout de papier, plus un stylo. Sarah s’assit et vers 9h et demi, voyant qu’elle chômait, elle alla poser la question à son responsable direct.
-Excusez moi Monsieur François Gérard, je voudrais savoir s’il n y a pas de travail à me donner, car cela fait plus d’une demi heure que je suis assise à ne rien faire.
-Ah ! Mlle…oui vous avez raison, mais voyez-vous, il n y a pas de travail à vous donner. Aujourd’hui, je n’ai rien à vous proposer, alors occupez votre temps et…on verra demain.
-…
- eh oui ! Mademoiselle, je ne peux mieux faire que cela !
En retournant dans son bureau, Sara se sentit tellement découragée qu’elle n’eut qu’une seule envie : tout arrêter. Elle ne comprenait pas comment avec son Master, son chef pouvait la traiter de la sorte.
Sara commençait à somnoler, lorsque François Gérard, son chef, vint frapper à sa porte pour lui dire qu’il était l’heure de la pause, et qu’elle pouvait si elle voulait, rejoindre les autres employés au rez-de-chaussée dans la petite salle. Proposition à laquelle Sara répondit par un non catégorique. De son bureau, elle entendait des rires provenant de la petite salle, mais elle préféra résister et décida de lire un livre sur les relations au travail.
A midi, Sara sortit pour sa pause du midi. Aline, la secrétaire, l’interpella.
Bonjour Sara, peux-tu, dans tes temps libres m’aider à avoir une bonne maîtrise de l’ordinateur ? Je suis une secrétaire du tac tac et, l’ordinateur me dépasse. Viens donc quand tu n’as rien à faire là haut.
Merci Aline, je note votre proposition et je vous tiendrai au courant de ce que je dois faire ou non. A plus tard.
Pour Sara, le temps de la pause fut comme un temps de relecture de la première matinée. Un peu déçue. Une chose l’étonna : au restaurant, pourtant à deux pas du bureau, elle ne retrouva aucun de ses collègues. Curieux ! Mais bon cela faisait peut-être partie du décor habituel du service.
Lorsque Sara revint de la pause, Jules était déjà là et l’accueillit avec un grand sourire que Sara lui rendit.
-Merci Jules, vous êtes gentil.
- A votre service ma chère Sara.
Comme ils étaient les deux premiers à arriver, Sara préféra rester discuter avec Jules, question de prendre un peu la température du service. Ils discutèrent quelques quinze minutes de tout et de rien, mais cela permit à Sara de faire tomber quelques préjugés, car Jules lui dit une chose qui, vraisemblablement la toucha :
-Vous savez Sara. Je me souviens toujours du premier jour où je suis arrivé ici. Un peu timide, mais surtout avec pleins de préjugés, car je me disais surtout que je serai confrontée à un conflit visible de génération. C’était tout à fait le contraire qui arriva, car il y a une telle chaleur humaine dans ce service, que je ne souhaiterai en aucun cas l’échanger avec un autre. Alors si tu peux, profite au maximum de la présence et de l’ouverture des collègues et tu verras…
-Merci beaucoup Jules…
-vas-y pour le tutoiement.
Ils rirent de bon cœur et comme les autres arrivaient déjà, Sarah le salua et rejoignit son bureau.
Arrivée dans son bureau, elle décida de réécrire tout ce que Jules lui avait dit. Ouvrit une page de son cahier et écrit : Première journée de travail. Elle écrivit à la suite de ce titre une litanie de mots : respect-bonne-humeur-joie-solidarité-discrétion-particiapation-modestie. Elle regarda ce qu’elle avait écrit, l’encadra d’un feutre Rose fluo et ôta la feuille de son support, la fixa sur le mur de son bureau avec une punaise.
Entendant les pas de François, elle décida d’aller l’aborder.
-Bonjour Monsieur François Gérard, la matinée s’est bien passée je suppose.
-Oui et vous…pas trop dépaysée ?
-Pas facile, mais ce n’est que le premier jour...
-Ah oui, ça viendra, d’ailleurs demain mardi, nous avons la réunion hebdomadaire, et j’aimerai que tu y participes. En réalité, dans nos services publics, et spécialement le nôtre qui accomplit essentiellement un travail de terrain, les réunions sont utiles pour évaluer les actions.
-Ah oui, vous avez raison, j’espère pouvoir y arriver, car effectivement, je suis très nulle en terrain, et je pense que mes gros diplômes n’auront aucun sens si je n’ai pas d’expérience de terrain. Je compte sur votre grande expérience. A quelle heure demain ?
-À 8h 00
- Je serai là…Merci.
- n’hésitez pas à poser des questions, je suis là pour vous et puis sachez que même si vous êtes spécialement affecté dans mon service, il y a plus de cinq services dans ce département, nous travaillons en réseau, n’hésitez donc pas, renseignez vous et faites vous une idée.
-D’accord… Merci Monsieur Gérard.
- A bientôt…j’allais oublier, à 16h, nous serons dans la salle de pause pour une petite fête, il y a Carla qui célèbre cinquante ans et l’on a décidé d’offrir un pot en son honneur. N’hésitez pas, ce sera peut-être l’occasion de discuter avec les autres.
-Je serai là…
-ok.
Sara retourna dans son bureau et fût émue de cette nouvelle, elle se dit qu’au fond, il y avait un peu d’humanité dans ce département et que le plus important était de pouvoir faire un pas…le premier pas…dans la vie, c’est toujours le premier pas qui compte…
Dans son bureau, même si elle n’avait rien à faire, elle se mit à écrire et fit son programme personnel, car cet après-midi aura été pour elle beaucoup plus enrichissant que la matinée. Elle avait compris que dans la travail, la dimension relationnelle comptait énormément. Elle attendit donc impatiemment 16 h pour pouvoir jouir elle aussi de la dynamique relationnelle de la pause.
Quand l’heure sonna, Jean vint la chercher pour la pause.
Dans la salle elle retrouva tous ses collègues de même que Carla, l’élue du jour. La responsable de tout le département, Madame Louise Cactus, âgée d’une cinquantaine d’années, prit la parole et remercia Carla pour la qualité de son travail et pour sa grande capacité relationnelle. Puis on déboucha le champagne et ce fut des chants, des souhaits.
Le deuxième jour, en arrivant dans son bureau, Sara eut envie d’écrire dans son cahier : DEUXIÈME JOUR AU BUREAU…elle se ravisa, déchira la feuille et dit à haute voix :
-il y a eu un premier jour pour démarrer, mais je ne vais pas passer mon temps à écrire…c’est la vie professionnelle qui commence. Elle se dirigea dans le bureau de son chef avant d’aller dans la salle des réunions.
-Bonjour Sara ! Comment vas tu ? On peut se tutoyer ? On peut se faire la bise ?
- bien sûr.
Dans la salle de réunion, tout le monde était joyeux, et tout le monde s’embrassait. Sara entra dans le rythme et fit comme tout le monde avec tout le monde. Pourtant au milieu de la réunion, elle comprit qu’il y avait du feu dans l’air. Elle se contenta de prendre des notes jusqu’à la pause café, car tel que c’était parti, une pause café s’imposait réellement.
La pause fut tellement détendue que Sara en vint à se demander si c’était les mêmes personnes à la pause et à la réunion. Elle se dit que tout était vraiment paradoxal. Jouer le jeu, est-ce qu’elle serait capable de le faire. En réfléchissant, elle n’entendit pas la voix de Jules qui s’approcha d’elle et lui dit :
-Ça va Sara ?
-ça va merci…j’étais juste en train de me demander comment des gens qui étaient, il y a quelques minutes diamétralement opposés, pouvaient-ils se retrouver à la pause café, dialoguer et sourire ensemble. Quel paradoxe !
Jules sourit et dit
-ce n’est pas forcément parce que nos points de vue divergent sur certains points qu’on ne peut plus s’entendre. Nos vies ne se limitent pas aux réunion ! Tu sais quoi : ici le temps de la pause est sacré.
Après la pause, la réunion reprit son cours. Ce mardi-là, ils allèrent jusqu’à 11h et demi. Juste après, ce fut la pause de midi.
Pendant que Sarah descendait pour aller prendre son déjeuner, Jules l’interpella
-Sara, on pourrait déjeuner ensemble si tu veux bien, question de prolonger notre petite discussion de tout à l’heure ?
-Pourquoi pas, d’autant plus que je n’ai pas de programme particulier. Je te laisse choisir le restaurant.
-sur ce coup là, tu peux compter sur moi…je connais bien le quartier. Ou bien, pour faire simple, on va prendre ma voiture pour aller plus loin…si ça te dit
-oui, pourquoi pas ? Je passe un coup de fil et je te rejoins
-parfait
dans la voiture de Jules qui les menait vers le restaurant, un long silence s’installa. Pour rompre le silence, Jules décida de s’intéresser à la vie de Sara.
-Quelle est la spécialité de ton Master Sara?
-sciences de l’éducation, spécialité intervention sociale.
D’accord, je comprends mieux pourquoi tu es venu travailler ici…j’espère que ça te plaît ?
-Oui…j’avoue que hier, en arrivant, j’avais beaucoup de préjugés, mais tu as été comme un ange sauveur pour moi, parce que la discussion que nous avons eue hier m’a presqu’ouvert les yeux….même si la réunion de ce matin ce matin a failli me faire changer d’avis…j’ai donc décidé de travailler au lieu de juger. je pense juste que j’aurai à passer un agréable moment avec vous, ici et qu’ensemble, nous aurons l’occasion d’intervenir dans différentes réalités sociales.
-Tu verras ça se passera bien, tu as eu la chance d’atterrir dans une équipe de bosseurs. Tu ne regretteras pas.
Tout le monde au bureau savait que François, le chef de Sara était quelqu’un de bien, de non-contraignant qui non seulement faisait bien son travail, mais aussi qui avait un esprit d’ouverture, esprit taquin, souriant et gentil…une personne facile à vivre. Quand il était arrivé au bureau, il y a vingt cinq ans, les choses avaient évolué positivement. Son ouverture avait permis à notre département d’avoir une ouverture sur les diversités. Ainsi, l’on pouvait compter dans nos bureaux, une diversité d’origines. François était de ceux qui pensaient qu’il fallait donner la chance à tous en leur donnant l’occasion de réaliser ce qu’ils voulaient être dans leur vie. Au départ, les collègues du bureau avaient du mal à accepter certaines différences dans l’administration publique, mais François avait donné ses raisons, qui petit-à petit ont fini par passer, puisque ces personnes, différents d’origine ou même de sexes étaient compétents et contribuaient à la bonne marche du service.
Les jours passèrent et, Sara petit à petit prit ses marques, elle eut le temps de se familiariser avec les autres membres du département et aussi de s’adapter. Elle eut le temps d’apprécier tous ses collègues. Cependant, au milieu de ces hauts et de ces bas, Sara ne regretta jamais d’avoir à travailler dans ce milieu.
Pénélope Mavoungou
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