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C’est avec une grande joie que j’entreprends de vous présenter ici le premier roman de Destin Akpo, prêtre béninois. L’œuvre est parue aux Editions Savanes du Continent à Cotonou en août 2021 et s’étend sur 247 pages.
De la couverture
Il y a du verdoyant dans une atmosphère sableuse, un grand arbre l'iroko qui montre ses racines au dehors, puis des rejetons qui l'entrelacent. Ce phénomène témoigne de l'âge acquis par cet arbre dont chaque ombre est une pièce à témoin des âges se succédant. Voilà en première de couverture cet arbre, refuge et confident des vieux sages en Afrique, l'arbre à palabres. On peut y voir trônant aux pieds du gros arbre des troncs d'arbres mis à terre pour servir séant des palabreurs et à côté de façon presque diffuse un tabouret qui hisse à sa hauteur la réserve du ‹‹ kanyi kanyi››, ‹‹ e nↄ gomɛ ma mu go›› p.23, la dame-jeanne, bref le commun Soɖabi. Il ne saurait être aussi discret avec autant de sobriquets et pourtant ... Il fait exprimer au sage sa sagesse, et au sot sa sottise. C'est le moindre rôle que lui assigne l'auteur dont le nom est centré en haut de cette première de couverture : Destin AKPO. En descendant vers le milieu de la couverture, l'on peut voir en majuscule script le titre de l'œuvre Colorant Félix et le genre de l'œuvre mis en indice, un roman. En bas est centrée la maison scientifique de ce roman : Savanes du continent.
L'atmosphère sableuse, le fond chocolat, se laisse traverser par un blanc à la cinquième de couverture qui relie la première à la quatrième et fait de cette dernière moins foncée que la première. Ici, (la quatrième de couverture) le titre du roman est en noir, ensuite un extrait du roman en blanc, puis un avis récapitulatif en noir et enfin en bas, la photo de l'auteur que jouxte sa biographie. La cinquième de couverture reste classique : maison d'édition, auteur, et titre de l'œuvre, Colorant Félix.
C'est dans celui-ci, dans ce titre, que se cachent, la voûte, le mystère et la perplexité du lecteur qui cherche à s'emparer du code. Quel indice pour comprendre ?
Du contenu
L'auteur, nous traînant dans les histoires les plus saugrenues de vieux souillards, mieux ; de palabrants sages sous l'effet du soɖabi, opte de nous fourvoyer. Un colorant Félix qu'il déprécie à la faveur du Galola et de l'indigo : ‹‹ Au commencement, dit-il, étaient Galola et indigo. C'est avec ces deux matières que depuis des siècles, nos mères teintaient leurs pagnes dans ce village. ›› p. 19. Colorant Félix pourrait être alors un produit nouveau, un colorant d'une marque fraîchement apparue sur le marché. Un colorant ! Et le propriétaire de la marque ne lui a trouvé autre nom que Félix ! Ou serait-ce le petit nom de l'actionnaire ? Qu'importe. Ce n'est pas ce qu'il y a de plus intrigant. Qu'a-t-il l'auteur à rentrer en contentieux ouvert avec un colorant, que les vieux semblent déprécier, et de le consacrer titre de son premier roman ? La voûte ne se lève pas ! Mais alors n'est-ce pas qu'il se trahit en insistant pour que le lecteur pénètre de force ? Le Colorant Félix qu'il dédaigne a un surnom qui ne peut laisser indifférent : ‹‹ Coovi does not›› p.21 Un colorant Félix Coovi does not... Quelle super paronomase ! Qu'elle soit rectifiée ! On ne dit ni Colorant Félix, ni Coovi does not! Plutôt ‹‹ Corona virus, Covid 19 ››. Eurêka ! Voilà ce que fait le lecteur, en découvrant le jeu trop ouvert ! Mais veuille-t-il s'y cramponner ! Le jeu linguistique ne s'y arrête pas. Il ne suffit pas de transformer Colorant Félix en Coronavirus ou de faire le chiasme blanc bonnet-bonnet blanc. Artisan polyglotte, latiniste par ailleurs, l’auteur fait voir autrement son colorant. Félix est un mot latin qui signifie "heureux". Le mot est bien différent de "joyeux". Il exprime un état d'esprit, un état d'exaltation, un état de béatitude, de bien-être ou d'ataraxie. Et puis ce Colorant qui vient dépeindre sur un tel état. Colorant Félix, on aurait pu dire rabat-joie ou Trouble-fête ! Il est bien pire que Galola et indigo ! On mangeait, on buvait, on palabrait et ‹‹ voilà ce garnement qui débarque et nous dit que Colorant Félix est là. ›› p. 21
Colorant Félix, ce coronavirus dont l'auteur établit la feuille de route avec des rebondissements sur 30 palabres et en 247 pages. 30 palabres ! Savez-vous ce que c’est ? 30palabres dans un village comme Kpètèkpa où ‹‹ les vieux édentés aux gencives aigries et revanchardes ›› tiennent pour don du ciel, acte de rédemption, ces soirs d'apéritif sous l'arbre à palabres loin des commérages de leurs femmes. 30 palabres, équivalent de 30 jours de discussion sur un phénomène : une descente inopinée d'un colorant qui se nomme Félix baptisé ‹‹ Coovi does not››.
Cet élément modificateur", Coovi does not", constitue de bout en bout le problème posé dans cet ouvrage que l'auteur résout moyennant ironie, hilarité, paraphrase et antiphrase sous la flamme d'un liquide inflammable : le soɖabi. C'est ce qui attire le plus dans le style analytique de ce roman dans lequel il est mis dos à dos les conceptions allogènes et aborigènes de la covidisation. Des conceptions prises des commères, des rumeurs, de la croyance populaire, des récits du bas-peuple, un four-tout, un grand désordre que ce roman coud en une étoffe complète et rationnelle.
Pour le jeune étudiant, akↄwé, messager de mauvais plumage venu l'annoncer, ce collant serait dû à l'appétit des ‹‹sinois›› pour Mr Atoké et pour des ‹‹rats couverts d'écailles››. Il explique que ‹‹ les sinois auraient creuser dans leurs estomacs des tombeaux pour Mr Atoké.›› pp 90-91.
Ce sont là des vues communes, des vues du premier degré, auxquelles le sage Akotoé répond par le mythe de la cosmogonie de laquelle il tire la malédiction qui a toujours accompagné Atoké pour n'être ni volaille ni quadrupède.
Qui Akotoé, qui Somahuhwéviɖotↄmɛ, par leurs interventions, rappellent à l'homme sa nature et l'obligation de rétablir l'harmonie avec la nature. L'homme est un être naturel et non artificiel. Partant de son physique, de sa physionomie, de sa psychologie impliquant derechef ses mœurs, l'Afrique traditionnelle est perçue comme un espace idéal de la synergie de l'homme avec la nature. L'auteur en arrive même à l'exagérer, plutôt à ironiser :
‹‹ Et puis en ce moment là, dit-il, pour se mettre à l'aise, il suffisait de rentrer dans la brousse. Quelle sensation de faire cette affaire-là dans la nature et d'entendre les mouches chanter leur reconnaissance pour la nourriture que vous leur donner gratis. On pouvait aussi le faire sur le tas d'ordures où le cochon posté derrière attend que vous libériez la boule pour la savourer à chaud. Oh quel paradis perdu ! ›› p. 20.
N'allons pas prendre ce passage au sérieux. Ce qu'il cache l'est beaucoup plus : un appel à renouer avec la nature, à regagner le fleuve d'amour de Sɛgbo-Lissa. Une invitation majeure qu'il tarde au sage du village Somahuhwéviɖotↄmɛ, le seul ascendant près de la génération actuelle, qu'elle advienne. Il vit en effet l'angoisse de cette hécatombe, une angoisse radicale :
‹‹ Comment pourrai-je me présenter devant dada Segbo-Lissa et lui dire que ses enfants ont fermenté la sauce de la création ? Est-ce de ma bouche que mes ancêtres apprendront que sur cette terre, des hommes se marient avec les animaux ? Comment leur apprendre que des États votent des lois qui autorisent une femme à se marier avec son chien ou sa vache ? ››.
Ces questionnements et toutes les autres séries d'action peignent un tableau lugubre des mœurs, une sexualité non éduquée, un désir de l'homme de sortir de ses horizons, une culture de la bestialité homologuée par des lois. C'est là le tour d'horizon des maux qui minent la société et qui peuvent être les potentielles causes d'un Colorant Félix.
Il se pose du coup, entre autres, le problème de la légitimité des lois posées. Le droit positif et le droit naturel se retrouvent quelquefois en grand conflit. Suffit-il au droit d'être légal pour être légitime et éthique ?
Le tableau reste pathétique en ce qui concerne la déshumanisation entraînée par la disharmonie de l'homme avec son naturel. Le tableau reste pathétique. Pourtant Colorant Félix est le journal intime d'un prêtre mis en quarantaine et qui aborde tout avec humour et persiflage. Le tour d'horizon qu'il fait est une mine d'informations pour les générations à venir afin de leur laisser exactement le contexte de la pandémie en même temps que les situations vécues pêle-mêle en son sein. Mais surtout, la perception qu’en ont les anciens bousculés eux aussi dans leurs habitudes par le mauvais temps qui s’est abattu sur le cosmos. Mais nous ne mourrons pas sitôt. ‹‹ Awovi does not›› nous rassure-t-il en laissant des formules made in Benin. ‹‹ Sodabi+ sasalikoun...›› p. 245. Il est vrai, l’auteur se contente simplement de faire un reportage des faits sans prendre position, sachant bien que chaque assertion incombe à sa responsabilité ? Aussi l'œuvre n'est elle pas à laisser à la portée de ceux qui abordent nouvellement la langue française. L'auteur y fait des choix stylistiques tels que ‹‹ aplaumez›› ou ‹‹acclamadissez››, rendant fidèlement compte de l’atmosphère qui règne sous l’arbre à palabres, lorsque les vieux se fâchent et décident de parler la langue de Molière. Ceci participe à l'humour et à la détente du lecteur avisé. En tout, l'auteur a réussi ce coup. Il indexe et laisse des indices : ‹‹ La marmite de Gnonmli, l'Afrique, était donc convoitée par quatre grands insatiables : Sa majesté Nyangan mu lé gɛn-o, sa dangérosité Hinhon 1er, sa folie Honvi Cool et sa roublardise Hen Tchien... ››. En voilà un exemple. Voulez-vous découvrir les personnes qu'il met sous cape ? A vos lectures !
Carlos N. ALLOSSOU,
Grand Séminaire Saint-Gall de Ouidah (République du Bénin)