Daniel Marchildon est un écrivain franco-ontarien qui a à son actif plus de seize livres. Mais le genre littéraire de la nouvelle est une nouveauté dans son répertoire. Dans cette dernière publication, il dépeint le monde à partir de quinze nouvelles.
Ce recueil comprend trois compartiments : les nouvelles livresques, nouvelles amoureuses et les nouvelles périlleuses.
De la création du monde à Nos Jours, l’auteur scrute le monde et questionne l’univers. C’est notamment le cas de la nouvelle intitulée La Deux millième édition mettant en dialogue Dieu et Platon.
Platon se prépare à aller aux toilettes quand Dieu vient le rencontrer. Il est en train de réfléchir sur la 2000e édition du Phèdre. Dieu lui propose un boulot et Platon est surpris que ce soit lui que le Créateur suprême choisisse. Dieu le rassure et lui confie toute sa confiance.
“— Qu’est-ce que je peux faire ? Je suis tellement vieux que j’arrive à peine à aligner deux idées.
— Peu importe. Tu possèdes ce que les figures d’autorité, depuis le pape jusqu’au président américain, n’ont pas : la crédibilité. Il me faut un messager pour répandre la bonne nouvelle renouvelée et toi, mon sage scribe, tu es un intermédiaire.
— Moi ? s’exclame Platon, incrédule. Comment puis-je parler pour vous ?
— Tu vas revoir le Phèdre, lui donner une peau neuve.”
Cette nouvelle est une nouvelle humaniste parce qu’elle transcende toute forme de religion et vise essentiellement l’être humain à qui il faut réenseigner la beauté et l’amour. C’est une belle valorisation du Phèdre. Cette nouvelle impressionne, étonne et détonne parce que l’on se rend compte que Dieu s’inquiète aussi de la tournure que prend le monde. Il ne rejette pas son message qui est celui de l’amour. Il cherche à l’inculturer aujourd’hui dans le monde tel qu’il se présente à lui. Ce qui paraît aussi intéressant, c’est que le philosophe ne se laisse pas intimider par Dieu. Ils discutent à bâtons rompus.
Dans la nouvelle qui donne au recueil son titre, Une aventure d’un soir, Daniel Marchildon, dit la relation parfois fusionnelle que certaines personnes entretiennent avec le livre quitte à le considérer comme un partenaire. Le feu de la passion peut être brûlant ; une passion presque charnelle. La métaphore est bien réussie et la nouvelle est bien menée avec une chute parfaite. De mon point de vue, c’est la nouvelle la plus aboutie de ce recueil.
“Un roman extraordinaire comme toi, avec lequel on passe une longue nuit, torride, pleine de passion, on ne le rencontre qu’une ou deux fois dans la vie”.
Toutes les nouvelles ont cependant un lien et c’est ce qui constitue leurs forces : l’imprévu qui fait chavirer une vie ou des plans dans la vie des personnages. Malheur, bonheur, naissance sous toutes ses formes, rencontres, mort, tragédie, amour, fragilités de l’existence. Prenez Jeu dangereux qui est une nouvelle mémorable au sens où elle porte sur la catastrophe du 24 mai 1964 à Lima au cours d’un match de football. Il y a eu 308 morts. Cette nouvelle est une nouvelle “hommage”.
Pour un premier essai, c’est une belle réussite, car Daniel Marchildon dépeint avec art les fissures dans chaque existence. Les gens s’aiment, mais ils peuvent aussi se haïr du jour au lendemain ou vivre heureux toute leur vie. Et si finalement “Aventure d’un soir” était réellement “Aventure de chaque jour”, se réalisant en chacun pour affronter le paradoxe de l’existence ?
C’est un recueil que je recommande.
Nathasha Pemba
Références :
Daniel Marchildon, Aventure d’un soir, Ottawa, L’Interligne, 2019.