14 Juillet 2020
Il y a les échecs qui induisent une insistance de la volonté, et ceux qui en permettent le relâchement ; les échecs qui nous donnent la force de persévérer dans la même voie, et ceux qui nous donnent l'élan pour en changer. Il y a les échecs qui nous rendent plus combatifs, ceux qui nous rendent plus sages, et puis il y a ceux qui nous rendent simplement disponibles pour autre chose.
Sans nos ratés, nos déconvenues, les satisfactions les plus profondes de l'existence nous resteraient inconnues. On le pressent: l'échec a un lien avec la joie. Peut-être pas le bonheur, mais avec la joie.
S'identifier à son échec, c'est se dévaloriser jusqu'à se laisser gagner par un sentiment de honte ou de l'humiliation. Toute identification excessive comporte une dimension mortifère, une fixation. Or, la vie est mouvement.
Lorsqu'un sportif ose un coup de maître, c'est parce qu'il a appris une quantité de gestes simples. Il faut répéter encore pour s'autoriser à sortir de la répétition.
Chaque artiste, à l’heure de tenter quelque chose de neuf, accepte la possibilité de ne pas y parvenir. La beauté de son geste tient à cela.
Nos échecs sont des butins, et parfois même de véritables trésors. Il faut prendre le risque de vivre pour les découvrir, et les partager pour en estimer le prix.
Réussir ses succès, c'est comprendre qu'ils doivent être surmontés autant que des échecs.
Le succès c'est d'aller d'échec en échec sans perdre son enthousiasme.
Les succès sont agréables, mais ils sont souvent moins riches d'enseignement que les échecs. Il est des victoires qui ne se remportent qu'en perdant des batailles.
Lorsque nous manquons d'audace, nous souffrons peut-être d'un déficit d'admiration. Sans maîtres inspirants, l'expérience et la compétence risquent d'écraser notre singularité. L'admiration peut constituer un déclic, nous porter vers un usage audacieux de notre compétence.
Apprendre à oser, c'est apprendre à ne pas tout oser, à oser quand il le faut, lorsque les nécessités de l'action exigent ce saut au-delà de ce que nous savons.
La joie du combattant peut aussi revêtir le visage de la joie la plus prosaïque, la plus quotidienne: la joie de vivre. Lorsqu'on a traversé les épreuves, on sait le goût des plaisirs simples.
Pour surmonter nos échecs, il faut donc aussi redéfinir le 'moi' : non plus un noyau fixe et immuable, mais une subjectivité plurielle, toujours en mouvement. Être existentialiste, c'est penser qu'une vie ne suffira pas à épuiser tous les possibles. Reste à ne pas passer à côté d'eux
Exister, c'est vivre tendu comme un pont vers l'avenir, vers les autres, mais aussi vers ces dimensions de nous-mêmes que nous ne connaissons pas, vers ces chemins que nous n'avons pas encore empruntés, et que l'échec peut nous ouvrir. Nous souffrons davantage de nos ratés lorsque nous oublions cette vérité.
Pour mieux vivre l'échec, nous pouvons déjà le redéfinir. L'échec n'est pas celui de notre personne, mais celui d'une rencontre entre un de nos projets et un environnement.
Croire que la fausse note existe dans l'absolu, c'est faire comme si le temps n'existait pas. C'est oublier que nous naviguons sur le fleuve du devenir, non dans le ciel des idées éternelles.
Réussir son succès, c'est se méfier de l'ivresse satisfaite et lui préférer une joie de créateur, plus profonde et plus soucieuse. C'est prendre le succès comme une invitation à persévérer dans l'audace- à conserver son courage- (...). C'est considérer que le succès oblige, qu'il donne une responsabilité nouvelle"
Réussir sa vie, ce n'est pas vouloir à tout prix : c'est vouloir dans la fidélité à son désir. L'échec peut être cet acte manqué qui nous rapproche d'une telle fidélité.
Si les victoires faciles sont des "triomphes sans gloire", elles offrent moins de joie que les succès difficiles, arrachés dans la douleur. La difficulté de la conquête nous permet d'en estimer le prix.
Lorsque nous échouons, le roi en nous ne meurt pas. Il se peut même qu'il prenne conscience de sa puissance à cette occasion. Les grands rois le deviennent au combat lorsqu'ils se surprennent eux-mêmes et se révèlent aux autres. L'échec n'est certes pas agréable. Mais il ouvre une fenêtre sur le réel, nous permet de déployer nos capacités ou de nous rapprocher de notre quête intime, de notre désir profond: le roi est blessé, vive le roi !
Nos échecs sont des butins, et parfois même de véritables trésors. Il faut prendre le risque de vivre pour les découvrir, et les partager pour en estimer le prix.
Prenons une situation au coeur de laquelle nous hésitons entre une option A et une option B. S'il apparaît, après examen rationnel, que l'option B est meilleure que l'autre, alors nous choisissons B. Ce choix est fondé, explicable : il n'y a donc rien à décider. Si, malgré l'examen, nous continuons à douter, manquons d'argument mais sentons néanmoins qu'il faut opter pour B, alors nous le décidons. La décision exige un saut au-delà des arguments rationnels, une confiance en son intuition. C'est précisément lorsque le savoir ne suffit pas que nous devons décider - du latin 'decisio' : action de trancher. Une décision est toujours audacieuse, : elle implique par définition la possibilité de l'échec.
Le Sanctuaire de la Culture
Charles Pépin, Les Vertus de l'échec, Paris, Allary éditions, 2016.
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