Le roman s’ouvre sur un rassemblement familial ponctué par l’attente d’un nouveau-né. On comprend déjà qu’il est question d’une histoire de famille. Nous sommes dans les années 40-50. Gratien est issu d’une famille et il est un enfant très attendu. Il vient ainsi combler le bonheur de ses parents et de tous les gens de son quartier. En grandissant, il a tous les privilèges d’un aîné de famille. Ce n’est pas le luxe, mais c’est la vie, en toute modestie.
Cependant, dès le départ il y a en lui un esprit de liberté qui s’aiguisera avec le temps. Il a du mal à s’identifier à son père qui s’est vautré dans l’alcool.
Au chapitre 4, par exemple, on lit :
« Il en avait assez du comportement de son père, il en était offusqué. Enragé. Il était conditionné à ne plus l’entendre. Il était programmé à ne pas reculer. Cette fois, il était fin prêt à riposter au comportement éhonté de son paternel »
Gratien avait dix ans.
Mais il y a toujours eu en lui cette vénération du père. Même fou, un père reste un père :
« Son Père était son père ; son père était le père, son père incarnait ses repères »
Avec le temps, le père revient dans les rangs. Ils changent de lieu d’habitation. À force de voir son père travailler et les charges familiales s’alourdir, Gratien décide de prendre ses responsabilités en main.
Désormais, il aide son père.
Puis, un jour, il décide de partir :
Gratien Beauséjour est quelqu’un de très libre. Une liberté qu’il assume même si dans son propre entourage cela demeure un questionnement. Des événements se produisent au sein de sa famille, à Saint-Michel-des-Saints, au Québec. Il voit sa manière d’appréhender le futur et l’existence muter. Il ne désire désormais qu’une seule chose : partir. Partir pour se donner une autre possibilité, pas simplement l’avenir que lui destinent ses origines. En effet, à l’époque de Gratien Beauséjour, l’avenir pour les classes modestes se limitait à l’agriculture ou à la foresterie.
Partir signifiait donc pour lui, changer cette fixité sur la destinée de chaque personne de son entourage. Il quitte le Québec pour l’Ontario et les défis sont grands. Le tout premier, c’est celui de la langue. Être une minorité francophone au milieu d’anglophones est une épreuve.
C’est dans ce milieu que Gratien se forge une personnalité au fil du temps entre abaissements et élévations.
Je considère que cette œuvre est un roman non seulement historique, mais aussi initiatique parce qu’il plonge son lecteur à l’intérieur de l’histoire d’un personnage qui va de la naissance à la grande maturité.
Sa rencontre avec cette nouvelle culture va changer sa vie. Tâtant de plus près des réalités d’immigrants à l’intérieur de son propre pays, il se donne l’occasion du bonheur entre son travail, sa famille et le Hockey.
Patrice Gilbert a voulu écrire une partie de l’histoire du Québec, entre chaque évolution et chaque choix que ce soit au niveau de la langue ou de la diversité. Et comme il est un ancien journaliste, devenu spécialiste des questions des ressources humaines et qu’il réside en Ontario, il déborde du cadre strictement romanesque. Il fait presque un travail d’archiviste. Il traite de l’immigration interne, de l’intégration, de l’interculturel, du sport et des relations humaines. Ce qui compte pour lui, c’est la leçon de sagesse pouvant découler de cette expérience. Il est très à l’aise dans sa peau de franco-ontarien qu’il assume très bien.
Toutefois, il est important de noter que c’est son premier roman. Il y a certainement trop de détails, mais c’est peut-être parce qu’il y a ces détours que son roman est unique. Et c’est pourquoi il faut le lire, en attendant la prochaine publication.
Nathasha Pemba
Références du roman,
Patrice Gilbert, Le porto d'un gars de l'Ontario, Ottawa, L'interligne, 2019.