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Le tarot de Cheffersville de Felicia Mihali

Comment penser le vivre ensemble et ne pas altérer son identité? Comment l’accorder face à la diversité inhérente à l’histoire de chaque personne ? Toute personne qui n’est pas originaire doit-elle subir les crimes de l’histoire?

 

Un pas essentiel, pour l’écrivaine Felicia Mihali, car elle a osé, à travers son docu-roman, toucher le point focal des difficultés permanentes dans les sociétés multiculturelles. En témoignent les récits véhiculés dans son ouvrage, à partir duquel, elle rejoint, de manière indirecte, l’histoire même du peuple canadien.

 

La première page évoque le peuple innu, puis le bilinguisme canadien ainsi que la question de la différence sexuelle. À partir de cette mise en route, on peut déjà avoir une idée de ce que sera le livre.

 

Le tarot de Cheffersville fait partie du cycle ouvert en 2007 par Felicia Mihali, avec Sweet, Sweet China. La question fondamentale est celle de la quête identitaire d’Augusta, personnage principal du roman. Par son caractère fouillé et fictif, ce docu-roman est, à mon sens, un ouvrage particulier issu d’une expérience de séjour dans le Grand Nord québécois.

 

Il y a, également, dans cet ouvrage une dimension légendaire (historique) ainsi qu’une dimension socio politique qui place le lecteur au coeur de l'actualité.

 

Que ce soit avec  Tshakapesh et Cerise, Augusta et ses collègues enseignants, dans Le tarot de Cheffersville, il est avant tout question de l’identité à travers la possibilité de vivre ensemble, de l’existence solitaire et de la rencontre.

 

Deux moments importants fondent ce docu-roman. Le premier c’est celui de la rencontre entre Tshakapesh et Cerise. Le deuxième, c’est l’expérience d’Augusta, Antoine, Colette, Silvie et Ahmad. Une diversité des origines qui incarne aussi une diversité des manières de penser.

 

L’ancêtre innu Tshakapesh est au cœur de la vie quotidienne avec Cerise car il est permanemment confronté à l'étrangeté. Et, l'étrangeté a besoin d’être initié d’une certaine manière pour résister au climat, à la nature et pour s’adapter, car vivre ensemble suppose une certaine acclimatation. L’expérience de ces deux personnages est la preuve qu’il ne suffit pas de se rencontrer ou de cohabiter, il faut une certaine convivance pour emprunter l’expression chère à la philosophe Corine Pelluchon.

 

Ainsi que nous pouvons le constater, dans la plupart des cas, lorsque l’originaire rencontre l’étranger la conjonction n’est pas toujours évidente. Il y a parfois la crainte et la méfiance qui s’installent. On peut ainsi aller d’un rejet de l’autre vers une crise identitaire light ou aiguë.

 

Les yeux baissés, Cerise accepte de répondre à toutes les questions concernant son origine et le nom de son lointain village. Le vieux reste impassible devant ces détails, car cet endroit ne figure pas sur sa carte affective. Tout ce beau monde qui atterrit ici ! Pourquoi ne choisissent-ils pas des endroits plus chauds pour voyager ? 

 

Rien n’est simple car Cerise de par sa différence et de par la nature de son sexe, c’est-à- dire une femme, vient comme bousculer la vie de l’ancêtre qui reste prisonnier de ses habitudes. Ce refus de l'étranger est aussi visible entre les enseignants et les étudiants de Kanata. On constate que le rapport avec autrui se fonde sur le rejet, le désir de domination et plus tard, heureusement, sur la cohabitation pacifique.

 

Le défaut des gens comme eux, est de rejeter toute forme de générosité à leur égard 

 

L’ancêtre finit par comprendre que vivre ensemble nécessite tout un programme de transformation de soi au monde et donc à autrui. Il réalise que la conception du vivre-ensemble que l’on peut avoir n’est pas toujours la bonne ou disons la plus pratique. S’ouvrir à la Tzigane lui fait découvrir une autre dimension existentielle, celle de l’amour. Il valide de ce fait ce que disait déjà Antoine de Saint Exupéry en son temps: « aimer, ce n’est pas se regarder l’un l’autre, c’est regarder ensemble dans la même direction ». En effet, Tshakapesh réalise que vivre avec autrui sous-entend aussi l'observation de certaines règles comme l’écoute, le dialogue et le respect. On ne cohabite plus simplement à partir d’une coexistence, mais on co-vit.

 

Les pages développés par Felicia Mihali sur l’accueil comme catégorie humaine et sociale, comme beaucoup de très beaux passages de ce livre, offrent des phrases mémorables, ainsi cet extrait :

 

Cette fois-ci, la femme garde son calme. Plus rien de ce qu’il dit ne la contrarie. Avec cet homme, il faut surtout garder sa patience.

 

Décider d’immigrer vient toujours de quelque chose de précis. Peu importe pourquoi on décide un jour de quitter son pays, le souvenir de celui-ci nous poursuit partout. Nous le retrouvons ici avec Augusta qui, bien que déjà canadienne, pense toujours à son pays, à sa culture dont la plus profonde qu’elle tente d’expliquer est celle de ses rencontres avec les Tsiganes. Il y a certes la famille qui marque et qui  manque, mais il y a aussi l’histoire des origines dans ses différentes composantes:

 

Ayant grandi dans un pays communiste, Augusta reste le produit d’un régime où comprendre à temps le rejet des autres pouvait vous sauver la paix. Elle n’a aucune difficulté à saisir les regards qui vous expulsent

 

Tout en appréciant la culture innue où elle est affectée, Augusta n’ignore pas les obstacles à la considération que se présentent constamment. Aussi, on constate que ce docu-roman, bien au-delà de son caractère fictif cible nettement ce qui fait obstacle dans les interrelations sociales.  

 

 

La théorie d’Antoine est que les Autochtones devraient tous déménager en ville. Leur culture n’y serait nullement menacée, pas plus que celle des Chinois ou des Italiens, qui gardent leur tradition et leur langue au sein de leur communauté immigrante

 

Immigrer signifie, de ce fait, s’adapter. Ce n’est pas la société qui s’adapte, même lorsqu’elle est multiculturaliste. Nous nous adaptons et la société nous offre un petit espace pour essayer de sauvegarder notre culture d’origine lorsqu’elle peut encore subsister.

 

Dans l’adaptation figure la notion d’intégration. Il faut non seulement s’intégrer à une culture mais il faut aussi intégrer la culture de l’autre pour lui permettre de se sentir en paix chez nous. Un immigré qui ne s’intègre pas ne vivra jamais heureux sur sa terre d’accueil, de même une terre qui accueille restera à jamais fermée si elle n’accepte pas que celui qui arrive est lui aussi issu d’une culture. L’intégration devra donc aller dans les deux sens.

 

Pourtant, et comme le décrit si bien l’auteure dans les lignes de son ouvrage, l’immigrant est toujours celui qui est tenu de s’intégrer au péril de sa culture d’origine et de son identité première. Le lieu le plus patent où on le ressent dans le roman, c’est lorsqu’Augusta et ses collègues enseignants arrivent à leurs lieux d’affectations. Leurs origines personnelles incarnent une mosaïque impressionnante. Ils se sentent proches entre eux par le fait d’être tous étrangers à cet endroit. Ils se sentent unis par leur mission. C’est ce qui leur permettra de tenir parfois lorsque le peuple vers lequel ils se sont rendus les rejettera au début. Pourtant, on le voit, chacun d’eux essaie de trouver une certaine force pour avancer en vue de l’intégration. D’abord Antoine qui essaie d’user de tous les moyens possibles pour être accepté, de même qu’Augusta. Ils se disent certainement, à ce moment-là, que ce qui compte c’est le temps présent.

 

Ce roman est très riche et il y a tellement de choses à découvrir entre ses lignes. Néanmoins, j’ai choisi de me limiter à la question du vivre-ensemble et de l’identité parce qu’elle rejoint mes questionnements actuels. Dans l’idée de vivre-ensemble développée par Felicia Mihali, il m’a semblé percevoir une question sur le rapport à l’autre basé sur la l’acceptation et la considération. Comme le souligne la philosophe Corine Pelluchon dans L’éthique de la considération, la considération est une « manière d’être-avec-le-monde ».

 

Felicia Mihali suggère donc que pour vivre-ensemble, il faut non seulement s’accepter en tant que personne singulière, mais il faut aussi accepter l’autre en lui donnant une carte d’identité et en le considérant. Ce qui implique, dès lors, une possibilité de s’ouvrir à autrui, d’être impliqué comme responsable pour autrui et accepter d’intégrer la culture de l’autre dans la nôtre.

 

Je puis conclure que Le tarot de Schefferville est une interpellation sur la manière de « convivre » et de rester soi. C’est un bon livre portant une thématique très pertinente que je n’ai certainement pas fini d'explorer. Je le recommande vivement.

 

Nathasha Pemba

 

Références

Felicia Mihali, Le tarot de Cheffersville, Montréal, Hashtag, 2019.

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