
Le roman de Ives Loukson fait partie de ces livres dont à la seule lecture du titre, notre curiosité s’émancipe. Le fruit défendu ? De quoi s’agit-il ? Du récit de la création ? On ne saurait le dire si on n’a pas ouvert le roman pour le lire.
Pour comprendre ce roman, il faut se replacer dans le contexte des démocraties africaines. L’histoire se passe en Philombie, pays imaginaire d’Afrique noire francophone certes, mais surtout- et c’est ce qui m’a semblé intéressant- pays dont la terminologie est issue du nom d’un écrivain camerounais René Philombe.
La Philombie se situerait donc en Afrique centrale.
« La philombie est le pays de naissance de René Philombe. Très imaginatif dès son plus jeune âge, cet ami à moi découpa le nom que lui donnèrent ses parents à la naissance, le réorganisa afin d’obtenir cette admirable combinaison. Ce nouveau patronyme était le symbole de sa désapprobation envers le comportement du pays auquel il appartenait. Celui-ci tuait impunément ses propres enfants. Pour lutter contre cette auto criminalité, Philombe investit ses efforts dans la recherche d’un nouvel ordre, où l’homme ouvrirait sa porte aux autres hommes tout simplement parce qu’ils lui ressembleraient ».
Ainsi dans l’esprit de Bambara le griot, la Philombie ici est le pays à venir, pays à construire à l’Ouest de l’Afrique centrale, un peu vers l’Équateur. En expliquant l’histoire de ce pays à Essama et Ouandié, le griot note que la caractéristique principale de la Philombie, c’est le verbe attendre. Bref, c’est le pays de l’attente sur terre. Pour mieux expliquer à ces deux jeunes l’histoire de leur pays, il met en scène deux personnages : Biya et son professeur d’Allemand, Monsieur Théno.
Biya est le symbole de la liberté et de l’émancipation. Dans le texte, elle est présentée comme l’avenir de la Philombie, celle-là qui étudie et lutte pour devenir la première femme-prêtre (disons prêtresse) de Philombie. Elle critique à ciel ouvert le gouvernement en place, ceux-là qu’elle appelle « les ennemis du progrès qui aiment faire attendre».
On notera qu’à travers le visage de Biya se dessine aussi la situation de la femme dans ce coin de l’Afrique. Bafouée, abandonnée à elle-même, la femme philombienne est une femme qui doit se battre pour s’en sortir. En témoigne le cas de la maman de Biya qui après l’abandon de son mari est obligée de prendre en charge ses enfants, jusqu’à ce que celui-ci revienne un jour avec la proposition de marier Biya à son ami. Après le rejet de sa fille, le père se « lave les mains ».
Monsieur Théno incarne dans le roman, la victime, l’homme honnête en quelque sorte qui subit l’égoïsme des autorités du pays. Dans un monologue assez particulier, il déverse sa colère sur la société et ses bourreaux, se questionne sur la manière de réveiller la conscience de ses étudiants.
On retrouve dans le texte des injonctions critiques comme « ne dure pas au pouvoir qui veut mais qui peut », réponse de Mokala président de la Philombie à un journaliste belge. Il fait allusion à François-Xavier Verschave pour illustrer la « France à fric »; critique le président de la Philombie qui travaille d’abord et avant tout pour l’intérêt de la France.
Bambara le griot arriva donc à la fin de son récit. Son objectif était d’amener Essama et Ouandié à se questionner sur leur engagement, continuer à réécrire l’histoire de la Philombie
Un roman considérable, mais qui demande beaucoup de concentration
Le roman de Yves Loukson révèle des aptitudes littéraires manifestes. Dans un style précis, sa langue et son écriture retiennent l'attention. La narration est maîtrisée. Elle porte le lecteur de dialogue en dialogue à découvrir la misère dans laquelle est plongée le peuple de la Philombie. Dès les premières pages, l’auteur nous rappelle l’histoire tragique des dictatures d’Afrique centrale. Roman social et politique, Le fruit défendu est un roman qui interpelle. En mettant en avant un enseignant, une fille cultivée qui veut devenir prêtresse, l’auteur traduit avec brio toute la marginalisation subie par les intellectuels et les femmes dans les dictatures africaines. Le rôle parfois hypocrite de la Religion est soulevée, sans oublier la France complice des dictateurs.
En somme, Le fruit défendu est un roman à lire et je vous le recommande vivement.
Nathasha Pemba