Saluons d’abord un engagement : Changer l’Afrique.
La question que l’on se pose a priori en lisant ce titre est celle de savoir ce que l’auteur apporte de nouveau, dans un univers déjà inondé de livres sur l’Afrique où foisonnent moult propositions sur la développement de l’Afrique. Il est, en effet, impossible de faire abstraction sur le fait que Serge Mokanda y aborde une question très sensible, pour ne pas dire très attendue.
Il se pourrait qu’au travers de sa biographie le présentant comme un diplômé en gestion des ressources humaines et en management, l’on se dise, « voilà encore un Diasporien qui vit en Europe et qui veut moraliser l’Afrique ». Néanmoins, il serait bien de se souvenir des règles de bienséances intellectuelles qui exigent de lire une œuvre avant d’y prêter une critique.
Notons un fait. Serge Mokanda ne se perd pas dans des élucubrations paradisiaques en parlant de ce qu’il ne connaît pas. Il parle non pas de l’Afrique en général, comme on s’y serait peut-être attendu, étant donné sa veste de panafricaniste. Bien au contraire, il sait que pour parler global il faut parler détail. Le point focal de son ouvrage est bien le Gabon son pays d’origine, avec des solutions applicables pour toute l’Afrique, car en fait la plupart des freins qui retiennent l’émergence du Gabon se retrouvent presque dans tous les autres pays d’Afrique.
Changer l’Afrique ! Un livre technique d’une clarté étonnante. Il se lit sans grande difficulté tant il est fluide. Les idées sont claires et la thématique est bien précise.
Changer l’Afrique ! Ce point d’exclamation qui clôt le titre du livre symbolise bel et bien l’exclamation qui invite à un engagement dans la mesure où reformulée, elle devient : Changer l’Afrique ? Mais comment ? C’est cette question que l’auteur s’attache à définir tout le long de l’ouvrage.
Après un détour à la faveur des idées où il décline la notion de management en la considérant tour à tour comme science et comme art, Mokanda essaie de montrer l’importance du management du changement qui possède une dimension conjoncturelle en ce qu’elle se réalise entre l’ajustement permanent et l’amélioration en continu. Pour y parvenir, plusieurs requis sont nécessaire. Il invite de ce fait, à la lumière de l’exemple du Manager ivoirien Gilles Atayi l’importance du leadership qui lui-même aura un impact pour le développement de l’Afrique.
Le deuxième mouvement qui conduit l’œuvre de Mokanda concerne le diagnostic et les problématiques du changement au Gabon. Ciblant tour à tour les obstacles de changement, il montre que l’écologie d’être humain caractérisée par une inertie inexplicable constitue en soi en frein qui permet au Gabon de ne pas avancer. Sans oublier la mentalité et les habitudes qui, nous le savons, peuvent impacter positivement ou négativement une société allant même jusqu’à la faire sombrer dans une léthargie profonde. Parmi les mentalités, il soulève la question du poids des habitudes qui peuvent, dans un cas ou dans l’autre, s’avérer un obstacle au développement intégral. Il parle en plus des maux qui minent la société gabonaise. Le premier, l’indélicatesse où le jargon « le mouton broute où il est attaché » règne comme principe fondateur. Le deuxième le parentage ou l’art de se soutenir entre parents en délaissant les autres qui ne sont pas censés appartenir à notre réseau relationnel. Ce mal est la conséquence du non respect des droits de l’homme.
Sur le plan pratique, Mokanda fait un état des lieux du Plan Stratégique Gabon Émergent en ciblant quatre réalités qui peuvent, selon l’usage qu’on en fera, favoriser l’échec ou la réussite du Gabon. En premier lieu, les trois piliers de l’économie gabonaise que sont le secteur primaire, le secteur secondaire et le secteur tertiaire. En second lieu, il pose le diagnostic stratégique du PSGE en en ciblant les forces et les points d’amélioration. En troisième lieu, il parle de l’environnement des affaires en ciblant les efforts à faire. À la fin, il parle, à titre illustratif, du modèle rwandais.
Dans la troisième partie qui s’intitule « conduire et construire le changement au Gabon », l’auteur, s’appuyant sur le modèle de réussite de Jean-Baptiste Bikalou, entrepreneur gabonais, retient la ressource humaine comme principal facteur de changement. Il rajoute à cela la culture du résultat qui s’appuient sur quatre leviers : la performance, la diversité, la prise en compte des compétences nationales, et la communication.
Serge Mokanda estime que la solution de l’émergence se trouve dans le management du changement. C’est le lieu ici de comprendre pourquoi son livre apporte une nouveauté dans le paysage émergent africain, car il invite à déployer l’outil du management du changement à l’échelle nationale pour le Gabon, et à l’échelle continentale pour l’Afrique.
Le management du changement a ceci de particulier : Quel que soit le modèle de développement, il est susceptible d’apporter la plus value créant ainsi la rupture avec les anciennes manières de penser le développement de l’Afrique. Dans cette perspective, la dimension culturelle n’est pas à négliger, car pour l’auteur, c’est aussi par l’affirmation de l’identité africaine ou nationale que les managers peuvent s’ouvrir au monde.
Ce livre exigeant pose les facteurs clés du succès pour le changement. L’auteur en a retenu trois. Le premier, l’état d’esprit impliquant la décision, la responsabilité et le devenir. Le second, la valorisation de la jeunesse sur laquelle il faut miser dans la mesure où elle incarne l’avenir. L’auteur déplore le fait que la jeunesse est souvent mise de côté. Le troisième, la diaspora qui est une ressource pour le Gabon et pour la l’Afrique. C’est pourquoi les gouvernants doivent leur ouvrir la porte en capitalisant leurs expériences et expertises. Désormais l’apport de la diaspora est incontournable.
Que retenir de cet enseignement ?
Ainsi qu’on peut le remarquer. Serge Mokanda soulève diverses questions nécessaires pour le changement de l’Afrique. À la fin de son livre, il adresse une lettre à la jeunesse gabonaise et aux membres du Plan stratégique Gabon émergent. Loin de muer sa théorie en absolu, loin de flatter les égos des hommes politiques ou de les fustiger, Serge Mokanda nous convie au contraire sur un chemin non moins sinueux, exigeant, mais réaliste et prometteur : celui du management du changement. En effet, comme il l’explique, celui-ci ne consiste aucunement à se renfermer dans une culture de l’individualisme. Elle invite à s’ouvrir aux diverses richesses et à s’ancrer dans une double éthique. Celle de la responsabilité et celle de l’exemplarité. Ainsi donc, le management du changement n’est pas un acquis prédéterminé. C’est la volonté et la capacité qu’on y met qui peut le rendre effectif. Alors, pas de temps à perdre : fleurissons et partons sans plus attendre à la découverte du génie africain. Changeons l’Afrique !
Nathasha Pemba
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Références:
Serge Mokanda, Changer l'Afrique, Éditions la Doxa, 2015.
Prix: 15 euros