La question de la fidélité de l’homme dans le mariage fonde le roman de Nicole Mballa-Mikolo. Atteinte dans ses valeurs et dans sa vision du mariage, Ngawali le personnage principal du roman, s’interroge sur l’avenir de son mariage et sur la capacité que possède l’homme à se fidéliser dans une relation. Elle se sent abusée et dénigrée par l’infidélité de son mari.
En dépit d’un questionnement perpétuel qui la hante, Ngawali, l’héroïne du roman, décide de vivre avec les infidélités de son mari jusqu’au jour elle découvre, à travers une clé USB que Monsieur prépare ses deuxièmes noces avec sa seconde épouse. Commence alors une réflexion, un monologue intérieur où Ngawali, réfléchit sur son couple, sur son avenir et sur sa potentielle décision. Son époux, ne sachant certainement comment lui annoncer cette ultime folie a laissé trainer dans la maison des photos et une demande de mariage dans la chambre conjugale. L’épouse est tombée dessus. Elle est déçue. Elle se demande si son mari changera un jour.
S’ensuit un dialogue à deux où Ngawali tente de ramener son mari à la raison. Ce dernier, obnubilé par l’omnipotence du pouvoir mâle que la société attribue à l’homme tente de se défendre non moins sans mépris teinté de mensonge.
« -Ma chérie, je te dis que tu fais une grave erreur. C’est une mauvaise idée de quitter son mari pour…
-Pour adultère.
-Pour adultère ? Comme tu y vas ! M’as-tu surpris dans cette maison avec une femme ? Je n’ai pas commis d’adultère et d’ailleurs, seul celui de la femme peut-être érigé en infraction pénale. »
Le dialogue avec l’époux est suivi par un dialogue à trois. Ngawali, sa mère et sa grand-mère. De fil en aiguille, ses deux parents parviennent à lui avouer leur infidélité pour corriger leurs époux. Ces femmes sont d’une autre génération… Elles lui avouent, sans ambages, que plusieurs femmes de leur génération ont utilisé l’infidélité comme arme pour ramener leurs époux sous le toit conjugal. C’est en quelque sorte une vengeance douce. Néanmoins elles ne sont pas les seules. Plusieurs femmes le font et l’ont toujours fait. L’homme est par essence un jaloux. Cette jalousie lui vient de sa puissance qui l’illusionne dans l’idée que ce qu’il possède ne doit être possédé par personne. La femme étant un objet comme tant d’autres que l’homme achète lors du mariage coutumier, il lui arrive de la considérer comme une chose parmi tant d’autres.
Le roman « Les calebasses brisées » a une visée frondeuse, rebelle, évaluatrice et constructive. Il se focalise sur la question de la fidélité dans le mariage, mais aussi de la propension que possède la société à faire subir à la femme les infidélités de son conjoint. De ce fait, l’auteur interroge plusieurs autres questions, comme la famille, le rôle de la femme dans le mariage.
Le thème de la femme présente ici une réalité très commune chez une catégorie de femmes d’une certaine époque. Pourtant ce que l’on aurait pu considérer comme une continuité de mère en fille et de grand-mère à petite fille montre ici que bien souvent, il peut arriver que l’on se trompe sur la femme. Certains disent d’elle qu’elle est un mystère, un couteau à double tranchant... Toujours est-il que, comme tous les humains, la femme sait souvent ce qu’elle veut. En effet, loin d’être bête, manipulatrice, manipulable ou naïve comme on croit souvent, la femme peut parfois faire preuve de sang froid et ramasser les morceaux des calebasses brisées pour leur redonner la vie.
Les calebasses brisées a ceci de particulier qu’elle place la femme en face de sa propre liberté. Liberté… un mot d’une ambiguïté sans pareille, tant elle a souvent besoin de se ramifier à plusieurs autres notions et réalités sociales pour exister. Une définition classique de la liberté dit ceci : « Elle s’arrête là où commence celle de l’autre ». Et c’est précisément le problème du couple que Ngawali partage avec Mawandza, son époux, homme décrit comme étant un polygame qui ne se gêne pas de l’être. D’ailleurs, pourquoi devrait-il se gêner d’exhiber sa passion pour le sexe féminin.
Dans la situation que traverse son couple, Ngawali se situe entre les deux rives : son amour pour Mawandza et l’avenir de ses enfants. Son amour pour son époux n’a pas changé depuis le premier jour, mais la fidélité semble inaccessible à son mari qui change des femmes comme un ivrogne respectable change des bouteilles de bières. Témoins de divorces où ce sont les enfants qui ont payé, elle hésite. Etre au centre de cette situation devient un gros caillou dans sa chaussure, car elle en souffre et demeure consciente que ce sera encore à elle de se sacrifier.
Avec Les calebasses brisées, Nicole Mballa-Mikolo touche un problème crucial. Celui du mariage. Elle repose une question éternelle : tous les hommes sont-ils des polygames ? Si le refus de tomber dans une posture déductive semble nous hanter, on dirait presque oui, si l’on reste dans le cadre du roman. La maman de Ngawali et sa grand-mère ont elles aussi connu les infidélités de leurs époux. Quand on est jeune, on a le privilège d’être protégée, et le rôle d’une mère c’est presque de cacher à sa fille ce qu’elle endure. Elle ne veut pas l’influencer. Ngawali découvre que l’idéal du mariage qu’elle s’est forgée en voyant vivre ses parents ou ses grands-parents n’était peut-être qu’illusion. Mais elle ne perd pas espoir. S’il y a un temps pour tout, comme le dit le sage Qohélet, Elle sait que de tout temps, le femme a toujours été une force tranquille. Cependant, il puisse arriver que pour des raisons différentes, elle peut fléchir, mais cela ne signifie pas qu’elle cède, car « Ce que femme veut, Dieu le veut ». Tel est le mot de la fin du roman.
Ce roman invite les femmes à l'exhumation des valeurs et à transcender tout ce qui n'élève pas. Quand on a fermé le livre, la question demeure: Tous les hommes sont-ils des infidèles qui s'ignorent ? Toujours là, l'infidélité, pas du tout surprenante... mais souvent inacceptable socialement. Elle déçoit plus qu'elle ne surprend. Pour certains, elle fait partie des choses qui pourraient permettre à un couple de durer longtemps. La fidélité serait-elle ennuyeuse ? Les femmes du livre pensent que non... même si dans leur dialogue, on perçoit une certaine résignation : l' infidélité existe... Il faut peut-être faire avec... ou venger son humiliation. Une possible question de réflexion : y a-t-il des limites à la monogamie ?
Il y a aussi des "à côtés" que l’auteur développe: la situation socio-politique du pays où se déroule l'histoire. Ce qui reste enrichissant pour le roman. Cependant, je préfère m’arrêter à la question de l'infidélité et vous de découvrir le roman.
Nathasha Pemba
Références:
Nicole Mballa-Mikolo, Les calebasses brisées, Paris, L'harmattan Congo, 2016.
prix: 16, 50 euros