Mon avis : J’aime beaucoup. L’histoire est un récit magnifique qui n’interroge pas simplement l’existence d’une personne qui a fui la guerre, mais aussi celle de chaque personne qui a besoin de demeurer elle-même, sans pourtant rejeter la possibilité d’un ailleurs. Si l’auteur révèle ici ce qu’écrivait Heidegger, c’est-à-dire « Nous sommes des êtres pour autrui », elle souligne en amont que pour être un être pour autrui, l’individu doit d’abord être un être pour soi. En lisant ce roman nous nous rendons compte que tout ce qui est décrit comme expérience de vie est un pan de la propre vie de la narratrice. Le livre, écrit dans un style vietnamien assez discret, est marqué par une grande sensibilité poétique du début à la fin.
Un conseil de l’écrivain Alain Mabanckou sur son compte Twitter m’a encouragé à me procurer Vi de Kim Thuy que j’observais dans les vitrines de plusieurs librairies de Québec. D’origine vietnamienne, elle est arrivée au Québec à l’âge de dix ans avec ses parents, qui ont choisi l’exil au lieu de la tombe.
Heureusement, la vie aime surprendre et changer constamment l'ordre des choses afin de donner à tous une occasion de suivre ses mouvements, d'être à l'intérieur d'elle.
Vi c’est l’histoire d’une petite fille vietnamienne qui quitte le Vietnam pour l’exil. Après un séjour dans un camp de réfugiés, ils atterrissent au Québec. Elle, sa mère et ses frères. Le père a préféré les laisser partir avant tout. Discrète dans sa vie, elle va vivre sa vie de jeune ado, de jeune adulte avant d’aller étudier à l’université de Montréal. Dans son enfance, elle vit avec ses frères et ses parents et elle est juste la petite Vi. Elle conserve le souvenir de sa grand-mère qu’elle décrit avec des mots pleins de vénération. À travers sa grand-mère, c’est aussi l’histoire d’un grand amour. L’amour de ses grands parents. Un amour qui perdurera dans le temps. Son amour à elle aussi. Vi tombera amoureuse à son tour. Elle entrera dans la vie professionnelle. Elle visitera le monde. Pourtant dans ce bonheur construit socialement, se posera toujours la question de l’identité : Qui suis-je ? Pourquoi suis-je ceci plutôt que cela ? Question existentielle.
Ma mère m'avait surtout appris à devenir le plus invisible possible, ou du moins à me transformer en ombre afin que personne ne puisse m'attaquer, afin de traverser les murs et de me fondre dans mon environnement. Elle me répétait que, dans l'art de la guerre, la première leçon consistait à maitriser sa disparition, qui était à la fois la meilleure attaque et la meilleure défense
Vi, c’est un prénom. C’est un destin qu’on a voulu forcer. Au Vietnam, comme dans beaucoup de pays, les noms et les prénoms ont un sens. Ils disent quelque chose. Seulement, en général, les prénoms ne disent pas la réalité. Une fille qui s’appelle Caprice n’est pas toujours capricieuse. Une fille qui s’appelle Misère peut être une véritable source de bonheur.
Vi signifie « tout petit ». C’était donc le destin qui vouait Vi à l’effacement. L’inexistence sociale. L’invisibilité simplement. Pourtant contrairement à cet avenir que lui prédestine son prénom, Vi deviendra le contraire de ce qu’on avait choisi pour elle : grande, Visible et vivante socialement. Elle saisira donc l’occasion de la possibilité que lui offre son pays d’adoption pour détourner ce destin forcé et être elle-même. S'émanciper de son prénom qui l’empêche d’émerger va être l’une de ses missions fondamentales. Elle estime de ce fait que le lieu de la réalisation de la vie d’une personne est d’abord sa propre vie. Demeurer dans son être et vivre dans sa vie reste donc l’une des conditions de la réalisation de soi.
C’est en demeurant dans sa Vie (infiniment grand) que Vi (infiniment petit) va pouvoir équilibrer sa volonté de vivre pour elle et avec les autres. Cette imbrication me rappelle une parole attribuée à Augustin d’Hippone: « Faire une petite chose est une petite chose, mais la fidélité aux petites choses est une grande chose ». Ce qui signifie que le détail est toujours nécessaire dans l’immensité. Vi essayera toute sa vie de retirer de la tradition vietnamienne ce qui avec les valeurs québécoises pourront lui permettre de construire son identité.
Un thème qui reste présent : l’exil. L’auteur ne récuse pas cette dimension de la vie qu’elle juge comme étant une expérience riche. L’exil offre la possibilité de s’immerger dans deux cultures pour laisser émerger le moi de l’exilée. L’auteur offre au monde une histoire romancée de la vie des boat people et de la culture vietnamienne. Elle parle de la guerre et de son horreur sans les diaboliser. Elle décrit simplement.
Nathasha Pemba